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Exil et littérature – Silvia Tatti

Silvia Tatti

La Vague Culturelle, n: 7, 2017

L’exil est une expérience réelle qui engendre des conséquences tragiques dans la vie des individus. Depuis toujours, dès civilisations les plus anciennes, lors de conflits politiques ou religieux, l’exil a été la conclusion inévitable des tensions surtout politiques dans les communautés humaines. Les écrits liés à cette expérience, qui concernent toutes les époques, sont très nombreux et ils ont tous un vocabulaire similaire; ils parlent du départ de la patrie, du voyage au delà de la frontière géographique mais aussi politique, humaine, patriotique, existentielle, de la souffrance due à l’éloignement des amis bien aimés et de la famille, à l’abandon de sa propre vie, à la gêne de vivre dans un autre pays, sans moyens, en parlant une langue étrangère, loin de tout ce qu’on a aimé jusqu’à ce moment tragique. L’exilé est dépourvu de sa propre langue et de son identité; dans le cas de l’exil politique la détresse est due aussi à l’impossibilité d’exprimer sa propre pensée et d’avoir un rôle actif

L’écriture a toujours été un des moyens par lesquels l’exilé a essayé de compenser la négativité de l’expérience, de la renverser en la transformant dans une condition de purification, une possibilité renouvelée d’expression; les écrivains ont essayé de rendre supportable la douleur par la construction d’un monde idéal où l’exilé retrouve une condition digne et reconstruit sa propre identité; ainsi dans de nombreux textes, l’exil devient une expérience de douleur et d’angoisse qui engendre pourtant un élan d’orgueil, le désir d’établir une communication, la volonté de ne pas être écrasé par les circonstances

L’éloignement de tout et de tous, ainsi que la grande souffrance rendent l’exilé, dans la construction idéale de l’écriture littéraire, un personnage presque sacré, qui s’est purifié par la douleur, qui vit dans une condition de solitude, loin des bassesses humaines et qui parvient à obtenir une identité de savant, détaché de tout

Déjà dans la Bible, l’exil est la punition du peuple juif banni du paradis et de la grâce divine à cause de son éloignement des lois de Dieu; seulement un parcours de purification et de souffrance pourra amener à nouveau les pénitents à rejoindre la grâce. Moisé conduit le peuple hébreux de l’esclavage en Egypte à la liberté et au salut dans la terre promise; l’exil devient ainsi une métaphore du parcours menant du pêché à la foi et Moisé le héro protagoniste de la rédemption du peuple qui a regagné l’amour de Dieu par la révolte, la fuite et le retour à la terre promise. L’exilé, ici représenté par un peuple entier, obtient ainsi une identité sacrée; il subit une juste punition mais il atteint enfin une condition de grâce

Dans le cycle des tragédies de Sophocle consacrées à Œdipe, on retrouve cette transformation de la condition du banni en un homme savant et presque sacré. Dans Œdipe à Colone, le protagoniste, banni de la communauté des hommes par ses injures aux lois humaines, acquiert une condition de savant; sa condition d’aveugle et son immense souffrance le rendent un homme sage, qui, fort du fait d’avoir atteint le sommet des souffrances, essaye d’arrêter les guerres fratricides et de pousser à la paix ses conjoints

Dans la littérature latine cette transformation de l’exilé en homme vertueux est très répandue; Sénèque écrit à sa mère (Consolatio ad matrem Helviam), pendant qu’il est contraint à vivre en exil en Corse; pour la consoler, il lui montre les avantages de sa condition qui lui permet de se consacrer à la méditation et à la philosophie, loin de toute charge mondaine. Cicéron rattache la condition de l’exilé à celle du philosophe stoïque; dans ses Tusculanae conversationes il décrit l’exil et le retrait de la vie publique comme une opportunité offerte à l’individu de se consacrer à la philosophie et aux études. La Consolation de la philosophie est justement le titre des pensées écrites par Boèce, un philosophe du Ve siècle AD, pendant qu’il était en prison en attendant d’être exécuté pour des raisons politiques par l’empereur Théodoric

Boèce est un des auteurs auxquels Dante s’inspire quand il écrit sa Divine Comédie (XIVe siècle). Chassé de Florence pour des raisons politiques, Dante renverse sa condition de banni en celle d’un écrivain élu et choisi par Dieu pour raconter un voyage sacré dans l’au delà, dans l’Enfer, le Purgatoire et le Paradis, les royaumes auxquels sont consacrés les 100 chants de la Divine Comédie. Dante accomplit ce voyage spirituel pour purifier en même temps sa propre vie et sauver l’humanité entière du pêché; en connaissant les châtiments des damnés et le bonheur des pénitents et des béates, les lecteurs comprendront la puissance divine à la quelle ils devront se rendre de leur propre volonté. Ainsi l’écriture devient par Dante un moyen de protester contre la corruption contemporaine et de racheter sa destinée d’homme politique chassé de sa propre ville et condamné à l’exil perpétuel. L’exil est présent dans tous les chants de la Divine Comédie comme thème autobiographique ainsi que comme thème spirituel, mais il devient un thème central dans les chants centraux du Paradis, à propos de la rencontre avec l’ancêtre de Dante, Cacciaguida. Le béate interprète les prophéties sur l’exil que Dante a reçu pendant son voyage de la part des âmes de l’au delà, et il prononce des vers très connus : “Tu lascerai ogne cosa diletta / più caramente; e questo è quello strale / che l’arco de lo essilio pria saetta”  (Tu seras obligé d’abandonner ce qui t’es le plus cher; c’est la première flèche que lance l’arc de l’exil). Des vers qui montrent comment l’exil doit devenir pour Dante un signe de distinction, un témoignage de la faveur divine qui le met à l’abri de tout compromis avec la corruption contemporaine. Dante écrit la Divine Comédie non pas malgré sa condition d’exilé qui devrait le rendre un banni, mais grâce à son expérience de l’exil qui le rend un homme exceptionnel, un pur qui ne s’est pas plié à la corruption de son temps et qui a ainsi le droit de guider l’humanité vers le salut et le retour à Dieu

Les écrivains modernes qui ont raconté leur exil ont puisé aux sources de cette tradition littéraire, dans laquelle ils ont trouvé un vocabulaire de base pour décrire leur expérience: l’expression de la douleur, la détresse de l’abandon, la solitude, mais aussi la force de réagir, l’orgueil de parler, la lucidité de la pensée qui dérive de leur condition d’individus vivant aux marges de la société, dans un état de suspension  qui leur confère une vue plus aigue, une plus grande capacité de compréhension. Ce vocabulaire de base est devenu, dans le XX siècle, l’expression aussi d’une condition de marginalisation indépendante de l’abandon d’un lieu, mais qui concerne l’impossibilité de reconnaitre une appartenance; très souvent il s’agit de l’expression de la souffrance de l’intellectuel qui dénonce ainsi, en soulignant son isolement, sa gêne, son sens d’exclusion de la société

L’héritage le plus important laissé par cette langue de l’exil de la tradition littéraire est le lien entre exil et écriture, un lien sur lequel a fait des considérations significatives le prix Nobel russe Joseph Brodsky, en exil de son pays pour des raisons politiques. Brodsky a écrit que l’exilé, expulsé de sa propre patrie, est comme jeté dans l’espace à l’intérieur d’une capsule dans laquelle il est enfermé avec sa propre langue, sa seule richesse, son lien avec le passé et aussi sa garantie d’identité

Ainsi l’écriture devient un des moyens par lesquels les écrivains essayent de métaboliser l’exil, résister à l’isolement, à la souffrance d’une expérience qui pousse au silence, à la soustraction de sa propre langue; cette possibilité offerte à la parole par l’exil confère aux écritures des exilés de toutes les époques une très grande intensité. Edward Said remarque aussi combien l’expérience personnelle soit déterminante dans l’écriture qui reflète le drame de l’exil; l’écriture des exilés n’est jamais neutre ou standardisé, elle est quelque chose de profondément individuel qui résume toute l’anxiété et l’angoisse liées à la condition des expatriés. Malgré cela, Said confirme en partie ce que la tradition littéraire a transmis; même si l’écriture n’a pas un pouvoir miraculeux, elle engendre une accélération de connaissance; l’exilé a une vision plus aigue des choses; c’est comme s’il regardait, écrit Said, avec un différent paire de lunettes

 

E. Said, Reflexions on exile and other essays, Harvard university press, Cambridge 2000

J.  Brodski, The condition  we call Exile, The Nobel foundation 1987

S. Tatti, Esilio in R. Ceserani, M. Domenichelli,  P. Fasano (ed.) Dizionario dei temi letterari, Utet, Torino 2007

 Silvia Tatti enseigne littérature italienne à l’Université Sapienza de Rome. Ces nombreux essais sont consacrés aux principaux auteurs de la littérature italienne surtout des siècles XVIIIe et XIXe, aux rapports culturels entre la France et l’Italie, la littérature d’exil et théâtrale. Parmi ses publications: Le «Tempeste della vita». La letteratura degli esuli italiani in Francia nel 1799, Paris, 1999; L’antico mascherato. Letteratura, melodramma, teatro: studi su Roma antica e moderna nel Settecento, Roma, 2003; Il Risorgimento dei letterati, Roma, 2011; Classico. Storia di una parola, Roma, 2015

 

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