PRIMO LEVI
Une leçon d’histoire et de sagesse:
texte original en italien à la suite
Ma patrie est le Piémont. Je ne penserais jamais d’aller vivre en Israël. Mais les premières personnes qui allèrent vivre en Israël n’avaient pas une patrie comme celle-ci. Il s’agissait de personnes très religieuses, ou bien ils étaient des polonais, des russes, des roumains auxquels il n’avait jamais été permis de considérer comme une patrie à eux le pays dans lequel ils vivaient. Les gouvernements de ces nations leur disaient : « Vous n’êtes pas russes, ou polonais ou roumains. Vous êtes yid ». Les pogroms continuèrent aussi après la guerre. Certains juifs qui avaient miraculeusement survécu à l’Holocauste, moururent pendant les pogroms de l’après-guerre.
Un grand désir poussait les personnes vers une patrie, puisqu’ils n’en avaient plus aucune. Ce n’est pas ma situation. Je suis un juif de la Diaspora, dans tous les cas un juif du « retour ». Aujourd’hui la situation en Israël est dramatique, même tragique, en partie à cause des erreurs qui ont été commis.
Quand dans La trêve (1963) je décrivais le convoi chargé de jeunes sionistes dirigés en Israël, je me referais à une réalité bien évidente. En Europe, très simplement, il n’y a avait plus de place pour ces personnes. L’Europe était une terre de massacres, la terre d’Auschwitz. Il y a eu une énorme vague émotive qui m’emporta moi aussi. Je ne savais pas si ma famille avait survécu ou si cette maison existait encore, cependant mon seul désir après la déportation à Auschwitz était de rentrer en Italie. Beaucoup de mes anciens copains me demandèrent pourquoi je voulais retourner en Italie. Ils pensaient que l’Europe était un endroit dangereux. « Viens avec nous en Israël afin de réhabiliter la terre. De cette façon nous pourrons réhabiliter nous-mêmes. Nous irons, nous construirons afin de reconstruire nous-même ». Il s’agissait d’un argument très efficace. Mais il était une simplification. Il aurait suffit de penser à la situation réelle, aux conditions objectives … pour commencer, ce territoire n’était pas vide.
(Primo Levi, entretien avec Germaine Geer, novembre, 1985).